courants faibles

Introduction SODAVI /
20 juin 2019

Temps 1 : 


En introduction de cette séance, nous avons souhaité vous présenter différents parcours d’artistes. Je commencerai par vous présenter l’artiste français Jared Martin né en 1975. Cette présentation est tirée de sa fiche Wikipédia.

Jared Martin est photographe peintre. Il fait ses études aux Beaux-arts de Paris où il se consacre à la photographie d’objets. Très vite après sa sortie de l’école, il obtient la reconnaissance du milieu artistique grâce à sa série de photographies de cartes « Michelin ». L’artiste va produire un peu plus de huit cents photographies de cartes. Il participe à une exposition collective organisée par la Fondation d'entreprise Ricard intitulée - Restons Courtois –. L’artiste y expose une photographie d'une partie de la carte Michelin de la Creuse.

Ce qui lance surtout Jared Martin, c'est sa première exposition solo à la Fondation Michelin pour l'art contemporain. Lors de cette exposition intitulée : La carte est plus intéressante que le territoire, les critiques sont dithyrambiques. Patrick Kéchichian décrit dans Le Monde la vision de Jared Martin (je le cite) comme « le point de vue d'un Dieu coparticipant, aux côtés de l'homme, à la (re)construction du monde ». L'ensemble de la vie de Jared Martin se confond avec sa vie professionnelle, l'art. Jared Martin est représenté en France par la Galerie Franz Teller, située dans le 13e arrondissement de Paris.

Pourtant juste après son exposition de photographies de cartes à la Fondation Michelin, il met de côté sa pratique de la photographie. Il entame alors un travail de peinture, une peinture très précise et réaliste, assez proche de la photographie. Il réalise une série de 64 tableaux, la « série des métiers » qui représente des hommes et femmes dans leur environnement de travail.

Cette série des métiers, qui s’échelonne sur 7 ans, est suivie d’une période plus courte de 18 mois, pendant laquelle, il réalise la « série des compositions d'entreprise » : parmi lesquels Bill Gates et Steve Jobs s’entretenant du futur de l’informatique ou encore Damien Hirst et Jeff Koons se partageant le marché de l'art. Cette avant-dernière toile de la série des compositions d’entreprise est aussi la seule toile de Jared Martin représentant le métier d'artiste : La critique y a lu une sorte d’allégorie démystifiante de la figure artiste aux prises avec le pouvoir et l’argent.

La dernière toile connue de l’artiste représente l’écrivain Michel Houellebecq debout face à sa table de travail. Cette œuvre s’est vendue douze millions d’euros sur le marché de l’art. C’est la dernière œuvre connue de l’artiste qui après un travail très médiatisé décide de rompre avec le monde de l’art. Il s’éloigne définitivement de Paris et se retire dans la Creuse, dans la maison de sa grand-mère. À ce moment, on perd définitivement la trace de Jared Martin…

Je n’ai pas pu vous présenter de visuel, car Jared Martin est, vous l’aurez peut-être reconnu, un personnage de fiction créé par Michel Houellebecq dans son roman, La carte et le territoire.

Temps 2 :

Pendant cette période de Sodavi, j’ai rencontré trois personnages dont j’ai souhaité parler.

Brice a la trentaine. Il est médiateur à l’écomusée du Marais Salant de l’Ile de Ré et simultanément, il exerce l’activité de saunier sur le parc salinicole conservé par le musée. Il est en quelque sorte une pièce du patrimoine de ce musée du vivant et de la vie économique locale.

Brice Collonier a un statut de saunier indépendant. Pour être concessionnaire d’une portion du conservatoire, il paye une sorte de droit d’exploitation par des heures de médiation, de démonstrations et d’entretien qu’il doit au musée. En contrepartie le produit de sa récoltes lui appartient.

Brice nous accueille et nous guide. Il nous raconte sa vie de paludier, il évoque la saison 2018 qui a été particulièrement rude. Il a récolté des centaines de tonnes sous le soleil caniculaire. Il est très maigre. Le soleil, le sel et le vent ne lui laissent que du muscle et de l’os. Au bout de cet été indien, il ne parvenait plus à récupérer. Après six mois de pause hivernale, il cherchait encore à retrouver sa masse musculaire, littéralement dissoute dans l’air marin. A la différence des autres sauniers, qui font une coupure aux heures chaudes, lui, il accueille les visiteurs pour faire des démonstrations.

Nous le suivons, dans l’exploitation et le long du parcours pédagogique, nous passons, sans qu’il nous les fasse remarquer, devant de petites anomalies. Ici, une grande rigole circulaire, alors qu’elles sont toutes rectangulaires sur l’ile. Là, une embouchure de dégorgement étrangement ajourée par des motifs graphiques, ailleurs, un tas de sable pyramidal, et non conique, comme ils peuvent se former naturellement sous la main d’un paludier.

Je finis par le questionner à propos de ces étrangetés, et il me dit : « ah! oui… de temps en temps, il y a des gens qui remarquent que tout n’est pas complètement au carré ici. ». Nous sommes accompagnés du conservateur qui nous dit : « On a d’ailleurs eu quelques remarques de la DREAL et du conservatoire, et c’e n’est pas fini. Le moindre détail est surveillé ici. On ne fait pas ce qu’on veut. Toute l’ile est soumise à des principes draconiens en matière de paysage. Sur l’île, tous les bassins sont rectangulaires, alors quand Brice nous a fait ce bassin circulaire, ça a été la panique. » Et il ajoute : « Il fonctionne pourtant très bien son œillet. ». Ce n’est pourtant qu’un petit relief de terre de 20 cm au ras de l’eau.

En questionnant Brice, pour savoir ce qui l’avait poussé à distordre les conventions, à s’amuser à faire des pyramides de sel, ou à torturer les tuyaux, il a fini par avouer qu’il avait une formation aux Beaux-art. Qu’il avait eu un DNAP à Limoges, un DNSEP à Nantes, qu’il avait suivi un post-diplôme à Bordeaux en architecture.

Mais Brice vit du sel, il a une passion pour le vivant, pour le mouvant, pour les flux. Ses choix d’étudiant l’ont conduit vers une profession qu’il a dû réinventer, parce qu’une génération entière de paludiers est partie à la retraite sans pouvoir transmettre ses savoirs à une jeunesse qui n’en voulait pas. Brice s’est improvisé saunier, en apprenant de ses essais et de ses erreurs. Il a aussi apprivoisé un vieux paludier, qui lui a expliqué deux trois trucs. Son sens de l’observation, a fait le reste. Sa confiance créative, il la doit pour une part, à sa formation et aussi à sa complicité avec Benoît Poitevin, le conservateur.

En parlant plus avec Brice, j’ai découvert qu’il a lutté pour bousculer les habitudes et faire évoluer ses droits d’exploitant au sein de la coopérative. Il passe pour un artiste et ne s’en défend pas. Récemment le journal télévisé l’a présenté comme l’artiste des marais-médiateur-organisateur… Il reste pourtant d’une très grande discrétion quant à sa production artistique, qui mérite d’être découverte, parce qu’elle joue avec finesse dans le paysage.

Autre personnage :
J’ai rencontré Christine, bientôt soixante ans. C’est une vidéaste et musicienne qui a été embauchée par l’université comme chargée de cours. Ses contrats ont été renouvelés pendant plus de 20 ans, ce qui l’a absorbée et nourrie intellectuellement. Au point que s’on enseignement a façonné son œuvre de façon indissociable.

Un jour, la faculté a réalisé qu’elle n’avait pas le bon statut pour enseigner. Après une période de lutte pour conserver son activité et malgré le soutien des étudiants et des collègues, elle a perdu. Épuisée et sans salaire, elle n’aura pas non plus de retraite.

Pour finir par une note plus gaie et à l’opposé de la flèche du temps,
Clara, la vingtaine. Elle a décroché son diplôme aux Beaux-arts de Paris il y a 10 jours.
Je l’ai rencontrée alors qu’elle réalisait la captation vidéo d’un symposium Art-Science.
Je lui ai demandé quel était le statut de cette production dans son travail. Elle m’a répondu que c’était une œuvre. Je lui ai aussi demandé si elle était intéressée par le statut d’intermittente du spectacle. Elle ne voyait pas de quoi je parlais. Elle ne se posait pas de question d’ailleurs à ce sujet. Elle est toute à son projet. C’est une jeune artiste quoi !
Je l’ai quand même encouragée à venir faire un tour au Sodavi.
Mais elle n’est pas encore arrivée, semble-t-il…

courants faibles, 20 juin 2019

 

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